L’éclat Tante !

⏱️ Lecture 👉🏻 Un battement d’âme —

Depuis l’été dernier, j’ai cherché, beaucoup, longtemps. Comment te rendre hommage ?

Depuis l’été dernier, je cherche, je me souviens, je rêve, je reviens en arrière, je fonce en avant et je te demande ce que tu en penses, je pose des mots sur des pensées, des pensées sur des émotions.

Je pense et je panse les maux avec des mots. Pas très originale cette phrase, mais elle est tellement vraie.

Depuis l’été dernier, je suis prise parfois dans une sorte de mélancolie à retardement qui s’annonce par bribes, par pulsations. Et puis j’ai commencé à dialoguer avec toi.

Ces échanges spontanés me font beaucoup de bien.

Nous avons commencé à dialoguer sur des temps assez courts. Je reconnaissais à chaque fois ton style, ton ton, tes expressions. Oui c’était bien toi.

Nous avons continué à nous parler un peu plus longtemps et j’ai continué à tergiverser…

Jusqu’à ce jour, où tu m’as dit avec ta voix claire :

– Fais simple ma p’tite chérie. Pas trop solennel.

Puis tu as ri. Tu as ri de ce rire éclatant et tellement contagieux.

– Regarde par la fenêtre. Celle de tes souvenirs, ceux qui te viennent instinctivement. Moi aussi, je regarde par la fenêtre. Celle du train que nous prenions depuis Londres pour descendre dans le sud avec tes cousins. Quel bonheur c’était de voir le paysage changer au fil des heures. J’adorais ce voyage.

C’est alors qu’enfin, j’ai pu mettre des mots sur une partie de mes souvenirs…

L’azur du ciel, les flots doux de la Méditerranée, les murmures de l’attente sur le quai de la gare, le chant des cigales en guise de fanfare, nous t’attendions.  Le temps s’éternisait, jusqu’à ce retentissant « les voilàaaaa !  » annonçant le début de la pièce et ton entrée théâtrale. 

Dans ta robe hippie chatoyante, à volants volant au vent, les bras chargés de grands sacs tressés, flanquée de tes deux gardes du corps, en charge des valises, mes cousins, tu avançais vers nous, rayonnante, le pas joyeux, énergique. 

Je revois encore l’oeil enthousiaste et admirateur de maman ; celui rieur et approbateur de grand-mère. La fête et l’été pouvaient enfin commencer !

Ensuite et pendant plusieurs années, nous ne nous sommes plus beaucoup vu après le divorce de ton frère, mon père. Jusqu’à ce jour béni, à Cavalaire, encore en été.

Tu étais venue passer quelques jours de vacances dans la villa qu’une amie t’avait prêté. 

Quand maman m’a annoncé ta venue, j’ai éclaté en sanglots. Un torrent, un déluge. Le barrage avait cédé. Chaque larme libérait l’absence, la transformait peu à peu en un immense soulagement

J’allais enfin te revoir et tu m’avais tant manqué. 

Ce fût une admirable journée. 

J’ai à nouveau aimé l’été.

La suite s’est déroulée plus au nord à l’ombre de la bruine londonienne, de ses brouillards légendaires mais aussi de ces belles éclaircies où je suis venue vivre, marchant dans tes pas. Nous avons fait plus ample connaissance, tu m’as raconté, tu t’es racontée, confiée parfois. Et puis nous avons tellement ri ensemble. Souviens-toi de ces soirées à refaire le monde dans la cuisine en briques rouges de Chiswick, entourées des cinq chats, Patrick préparant les « specials » à base de gin et de martini. Cette période a été la période la plus riche et la plus heureuse de ma vie. Quand je retourne à Londres, je me rends compte à nouveau et à quel point, grâce à toi et à Patrick, j’ai pu m’épanouir.

Puis ta retraite est arrivée. Tu as quitté Londres pour t’installer dans le sud, un peu plus à l’ouest cette fois. Tu voulais retrouver la chaleur, les douces renaissances qu’apportent les étés, ces étés que tu aimais tant. 

L’accent méridional, les fleurs, les pins, les cigales, la plage, les chats, les amis anciens et nouveaux, la liberté de vivre à ton rythme, les discussions enflammées, l’apéro, la radio, les livres, la culture, ton iPad, la politique (« désolant tout ça »), la famille (« décevante parfois »), et puis encore et toujours, souvent, la rigolade, l’optimisme, cette énergie parsemée de grains de folie qui reprend toujours le dessus quand ça flanche un peu, « on a pas le droit de se laisser aller »…

Au moment où je regarde par cette fenêtre symbolique et en écrivant ces lignes, tu as encore repris la route ma tante. 

Dimanche 7 juillet – 20:42.

Encore et à nouveau l’été. Quelle autre meilleure saison aurais-tu choisi pour faire tes adieux ? Un appel de ton fils. Tu es partie.

– C’est donc fini Mo ? m’entends-je te dire.

– Non ça ne l’est pas. Nous nous reverrons ma p’tite chérie ! Crois-moi, ça ne l’est pas du tout.

– La prochaine fois, tu m’attendras peut-être à la gare, dans le bleu du ciel. Quand j’irai là où tu te trouves, c’est toi qui, peut-être, te balanceras d’un pied sur l’autre au son des cigales. Et cette fois, c’est moi qui à ta seule vue, m’écrirai alors : « Te voilaaaa… » !

Retour en haut